cap Morgiou
Plongeons dans le bassin du Mucem

« PLUS BELLE LA NAGE » by Agathe Five
VIII/ Le Welcome-back de l’amiral Nelson sur la Corniche et autres coups de la perfide Albion

Le Welcome Café. Enfin… Le Welcome pour les intimes. Repos du guerrier pour les nageuses et les nageurs de retour des Catalans ou de Maldormé.
Petit fort imprenable résistant aux assauts des promoteurs immobiliers, il surplombe l’anse des Catalans et scrute l’horizon de sa longue vue depuis la Corniche et son trafic infernal de bagnoles. Avec un nom pareil, on se demande pourtant bien ce qu’il fout là le rosbif, planté au beau milieu du ouaï Marseillais. Why en effet… ? A croire qu’il s’est gouré de route coloniale et qu’il s’est pris dans la doublure des filets des pêcheurs catalans venus coloniser la petite anse marseillaise au 18ème siècle le type. Ou que, parti toutes épaulettes dehors à bord du HMS Victory de l’Amiral Nelson, il est venu s’enfanguer dans le piège tendu par la flotte franco-espagnole.
Faut dire qu’au premier abord, ça coiffe pas un tricorne d’amiral au poteau comme blaze « le Welcome »… Disons que ça manque un peu de panache. Mais aussitôt la porte vitrée embuée poussée, la chaleur des êtres et du familier vous pète au visage comme un boulet de canon. Les « bonjours » guillerets fusent. Les fesses prennent place sur les confortables banquettes imprimées de plumes gris-bleuté qui encadrent l’étroitesse de la salle et ses tables marbrées. On voudrait prendre « juste un café », aller travailler, mais le Welcome referme son accueil sur vous. Un vrai coup de Trafalgar.
Au fond de la pièce, comme par magie, l’imposant bastingage métallique du comptoir s’anime en une bataille navale savamment orchestrée. La machine à café crache ses panaches fumants, le robinet déverse sa colère, les tasses de café s’alignent en ordre rangé et les couverts sales battent en retraite en s’entrechoquant dans l’évier. Au dessus, c’est le choc des titans. La grand-voile de l’écran plat déploie ses inepties au milieu des bouteilles, figeant les lieux dans une temporalité strictement binaire où la géopolitique cataclysmique de RFM.TV dispute la vedette aux clips surannés d’un monde resté bloqué aux années 80s. Tandis que la Mélissa métisse d’Ibiza s’invite chez les mollahs iraniens, on se prend à imaginer Bernard Arnaud avec la coupe mulet de Bernard Minet et on se dit que cette fois ci, la réforme des retraites est allée « One step beyond ». Dieu merci, l’imperturbable banane gominée de John Travolta et le fuseau tapageur d’Olivia Newton John sont de rassurants phares dans la tempête de l’actualité.
Sous les feux croisés du balai de Freddy Mercury et des tirs des chars russes, seul le sommet d’une minuscule tête coiffée de fins cheveux de bébé blond cendré/poivre sel arpente le pont de long en large. Pour un peu, on pourrait croire à de la prestidigitation.
Boy ! Nelson, is that you ?!
Pour seule réponse un néon bleu fluo tapageur clame haut et fort qu’il est bien le Welcome Café d’une écriture appliquée. Mais soudain, le mystère se dissipe..
Sous le regard attendri de Mylène Farmer, une minuscule femme fluette aux yeux clairs perçants émerge. Véro. Visage miniature aux rides souriantes, elle s’avance pour échanger les salutations de rigueur avec cette étrange tribu d’individus au cheveu mouillé, à la mine réjouie sous le sourcil plein de sel et à la chaussure ensablée. Les bises claquent. Sourde fierté de faire partie du sérail.
Alors, elle était bonne ??….. Ouuuh, tu es glacée…
Oui ! Gros Mistral ce matin, ça réveille.
Allez asseyez-vous, venez vite vous réchauffer !
Aussitôt, elle s’enquiert, hochant imperceptiblement la tête vers chacun.
2 allongés et un grand crème ?
Et la noisette pour Monsieur ?
C’est qu’elle connaît les marottes de chacun Véro. 43 ans qu’elle tient le navire du haut de son mètre quarante à tout casser, accueillant les poissons du matin et les oiseaux de nuit, les habitués qui se disputent poliment la Provence et les touristes ravis à la terrasse, gorgés de rosé et de soleil. Un comble, pour une montagnarde ayant quitté son pays haut-alpin, que d’être devenue terre d’accueil pour tous les amoureux de la mer. Avec son plateau plus grand qu’elle, elle évolue dans la pièce avec la magique efficacité d’une Marie Poppins miniature, veillant à ce que chacun ne manque de rien. Son aura de douceur se déplace avec elle dans la pièce et vient parfois poser une main sur votre épaule. Soucieuse du détail, chaque boisson déposée avec soin devant son propriétaire lui semble comme destinée. Jamais, ô grand jamais, café n’aura été vu servi sans son verre d’eau au Welcome – parole de Marseillais.
Et lorsque c’est le coup de feu, en digne héritière de l’Amiral, elle prend l’« avantage décisif du vent arrière », manoeuvrant discrètement tout en maîtrise et en finesse. Entourée de ses fidèles bras droits – Damien, Bruno et Ali – elle semble tirer les fils d’un plan de bataille invisible mais à la redoutable efficacité tactique, sans jamais un mot plus haut que l’autre.
De temps à autre, l’a(d)mira(b)le Véro doit se replier pour reprendre des forces. C’est que, fidèle à son patronyme, le Welcome ne ferme qu’entre entre 2h et 6h du matin – presque jamais pour ainsi dire. Alors parfois on la trouve alors assise sur sa banquette au fond à droite, les yeux mi-clos. Elle semble dormir mais à peine a-t-on cligné des yeux vers l’horizon, croyant confusément apercevoir derrière la vitre les volutes de fumée noire les canons de deux ferrys de la Méridionale se faisant face – que la voilà repartie au front.
Côté banquette, c’est la relâche. On avait rêvé de son goût âcre et de ses effluves. Par une intrigante métempsychose, il avait insufflé son énergie lorsqu’on s’était glissé dans l’eau glacée. Le voilà enfin matérialisé et fumant – le café du matin. Les mains enserrent la tasse pour y retrouve le réconfort primaire de la chaleur sur les doigts blanchis par le froid. La conversation absurde entre mâchoires crispées qui s’entrechoquent reprend son sens. Quittant les lèvres des nageurs, le sel de la vie se dépose sur le bord des tasses pour ajouter son grain au grand ordre cosmique.
Le café, la Provence & Mélodie Nelson.
Alors on fredonne en reprenant des couleurs. Demain il faudra aller se replonger dans les eaux froides des Catalans, car comme le disait l’amiral :
England expects every man to do his duty.

Linogravure les Catalans

« Plus belle la nage », chroniques marseillaises et linogravures d’Agathe Five

Catalans linogravure

« Plongez dans la lecture de Plus Belle La Nage, petite chronique poétique, tendre et amusée d’Agathe Five sur l’univers de la nage libre à Marseille qui traque l’insolite dans le familier et le croque en linogravure. Vous en ressortirez sûrement avec une furieuse envie d’aller piquer une tête…. »

Le Welcome Café
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