Je me dresse, blanche, fière et triangulaire à une trentaine de brasses du bord. Pour les nageurs occasionnels, je suis un aboutissement ; pour les plus aguerris, je marque l’entrée véritable en mer. Quiconque s’éloignera du rivage à la nage et viendra m’atteindre aura la chance de voir la plage des Catalans révéler encore mieux son visage. – chaos indescriptible s’autorisant une harmonie qui lui est propre.
En toile de fond des barres d’immeubles et des tours se dressent sous l’oeil rassurant de Notre Bonne-Mère veillant sur un panorama incongru mi-citadin, mi-balnéaire. Au centre, le gros bâtiment blanc art-éco, initialement destiné à être le Grand Hôtel du quartier mais devenu immeuble d’habitations à « l’architecture paquebot »
Plus à gauche, l’immeuble de logements de luxe en construction « bientôt terminé *» et ses futurs restaurants et commerces, chantre des opérations de promotion immobilière outrancières et désolantes du capitalisme phocéen et qui viendra remplacer l’ancienne usine de sucre Giraudon. Pour l’instant, seul le soleil se pavane dans ses vitres teintées. la chance qu’on a à Marseille c’est que les chantiers prennent leur appellation au pied de la lettre – rien n’est jamais terminé. Ici, tout bouge, ça roule à 70 en pleine ville mais rien ne semble avancer. Comme le chantait si bien Akhenaton, à marseille Demain c’est loin…
Plus à gauche encore, l’imposante blancheur du Cercle des Nageurs, flanqué sur toute sa longueur de son ponton donnant accès à la mer et son bassin olympique que l’on devine derrière le quadrillage de ses vitres sous son toit gris légèrement arrondi – club privé de natation de renom au bâti un peu décati tout de même, où s’entraînent dans les mêmes bassins futurs nageurs Olympiques français et riches retraités Marseillais. Au dessus du ponton, trois piliers soutenant la piscine extérieure, invisible de la plage et ces trois grosses lettres capitales peintes en bleu – CNM – que l’on voit de très loin – rassurant point de repère quand on nage en pleine mer et que l’on cherche la plage des yeux pour revenir à bon port. Trois humbles majuscules pour un droit d’entrée bien moins modeste réservé à ceux qui pourront débourser la modique somme de 2000 euros d’affiliation et de 1500 euros de cotisation annuelle, et ce après avoir montré patte blanche. La lettre de moralité signée d’un des 2 parrains membres du Cercle permettra alors l’entrée dans le giron de ce club fermé qui, comme l’a résumé de façon cinglante Pujol dans son livre documentaire « La Fabrique du Monstre », permet aux riches de contempler les pauvres depuis leur surplomb.
Plus démocratique, je flotte entre tous et j’accueille modestement tout le monde à mon bras.

« Plus belle la nage », chroniques marseillaises et linogravures d’Agathe Five

« Plongez dans la lecture de Plus Belle La Nage, petite chronique poétique, tendre et amusée d’Agathe Five sur l’univers de la nage libre à Marseille qui traque l’insolite dans le familier et le croque en linogravure. Vous en ressortirez sûrement avec une furieuse envie d’aller piquer une tête…. »